L'histoire
du Fort Saint-Nicolas

360 ans d'histoire
Sur la rive sud de l'entrée du vieux-port, le fort Saint-Nicolas surplombe la ville en vis à vis du fort Saint-Jean. Son histoire est intimement liée à celle de Marseille, elle couvre près de 4 siècles d'histoire marquée par des événements significatifs, reflétant les évolutions politiques, militaires et sociales de la ville.
Fort Saint-Nicolas 2
© Jean-Charles Verchère

En 1660, à la suite de différentes tensions entre les consuls qui gouvernaient la ville et le pouvoir royal, le jeune roi Louis XIV, désireux de prévenir toute rébellion future et d'afficher son autorité, ordonne la construction d'une citadelle et l'étendue du fort Saint-Jean de l’autre côté du port. Une armée de 7 000 hommes commandée par le Duc de Mercoeur est déployée pour encercler la ville et la soumettre. La construction d'une citadelle "en l'endroit de la ville qui sera jugé le plus propre" va permettre la surveillance de la cité et parer à une attaque venant de l'étranger, tout en maintenant par la mer la liaison avec l'extérieur.

La création de la Citadelle

La conception et la direction des travaux du fort sont confiées à l'ingénieur militaire renommé, le chevalier Louis-Nicolas de Clerville, nommé Commissaire Général des Fortifications par Mazarin.

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L'emplacement choisi est le site de Saint-Nicolas, à l'entrée du port, doté d'une fontaine d'eau douce et occupé par une chapelle médiévale dépendante de l'abbaye Saint-Victor. Le terrain d'environ 6 hectares est jugé suffisant "pour y maintenir pour jamais l'autorité du roi". Sur la première pierre posée le 11 février 1660 par le Duc de Mercœur, le Roi fait inscrire :

"De peur que la fidèle Marseille, trop souvent en proie aux criminelles agitations de quelques-uns perdit enfin la ville et le royaume, par la fougue des plus hardis ou par une trop grande passion de la liberté, Louis XIV a pourvu, en construisant cette Citadelle, à la sûreté des grands et du peuple…"

L'inscription royale exprime la volonté de protéger Marseille des agitations potentielles et de garantir la sécurité du royaume.

Malgré la complexité du projet et la situation sur un éperon rocheux à 50 mètres au-dessus du niveau de la mer, la construction est achevée en un temps record de quatre ans. La Citadelle suit le modèle des fortifications bastionnées avec un plan en "étoile" à double enceinte, s'adaptant au relief du terrain et entouré d'une enveloppe à redans. Composée de deux ensembles distincts en pierre rose de la Couronne, le "haut fort" ou "citadelle Saint-Nicolas" et le "bas-fort" qui se prolonge vers la passe du port, la citadelle est achevée en 1664, symbolisant la puissance monarchique de Louis XIV.

Outre la construction de la citadelle Saint-Nicolas et l'agrandissement du fort Saint-Jean en réponse et verrouillant la passe du port, le roi prend une série de décisions qui modifient considérablement l'aspect et l'échelle de la ville. La conception d'un nouvel arsenal des galères étalé sur près de 10 hectares, situé au sud-est du port, sur la rive neuve et l'agrandissement de Marseille par une vaste opération d'urbanisme, font passer la ville de 70 à 195 hectares. Les fortifications s'étendent du fort Saint-Jean au fort Saint-Nicolas et entourent désormais entièrement le port.

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Au cours du XVIIIe siècle, le fort joue le rôle de casernement pour des garnisons, abritant des installations militaires dédiées à la vie quotidienne des soldats et du commandement. Il est pourvu d'un moulin avec boulangerie, de casernes, de citernes et de puits, d'un magasin à poudre, et d'une chapelle, assurant ainsi son autonomie. Outre son utilité logistique, le fort sert également de prison militaire. 

Pendant la période qui précède la Révolution française, la citadelle est placée sous le commandement d'un major, le chevalier de La Rocque, assisté du chevalier Jean-Louis Marion. En 1790, un seul régiment occupe la citadelle et le fort Saint-Jean. Dans la nuit du 29 au 30 avril 1790, une petite troupe animée par les idées révolutionnaires se forme et capture le fort de Notre-Dame de la Garde avant de se présenter devant la citadelle. La garnison se mutine, et le Major décide de remettre la citadelle à la ville. Considérée symboliquement comme l'équivalent à Marseille de la Bastille à Paris, la Citadelle est livrée le 18 mai à la population qui entreprend sa démolition. Le démantèlement est ensuite confié à des ouvriers carriers ou des maçons. L'Assemblée Nationale émet un décret le 28 mai, signifiant l'arrêt de la démolition aux ouvriers le 1er juin. Les démolitions se concentrent sur le front Est du haut fort et s'étendent sur le front nord, là où l'artillerie de la citadelle pouvait directement battre la ville de ses tirs.

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Le haut-fort, désormais facilement accessible et difficile à surveiller, subit des actes de pillage et se détériore progressivement, comme indiqué dans les états des lieux successifs du Génie Militaire. En revanche, le bas-fort est protégé par les troupes qui l'occupent. 

En 1794, Bonaparte, devenu Inspecteur des Côtes de la Méditerranée, constate la vulnérabilité de la citadelle, dont certaines parties ont été démolies, compromettant sa défense. Il suggère des réparations, notamment le relèvement d'une des enceintes, mais ces recommandations ne sont pas suivies. 

En 1798, malgré la nomination de Félix Bacciochi, le beau-frère de Bonaparte, en tant que commandant de la citadelle, aucune mesure significative n'est entreprise pour restaurer sa fonction défensive. Ainsi, la période révolutionnaire laisse des traces tangibles sur l'état et la structure de la citadelle Saint-Nicolas

Il faut attendre 1818 pour qu'un véritable projet de restauration de la citadelle, désormais nommée fort Saint-Nicolas, soit proposé pour mettre en sécurité les abords du fort et réhabiliter ses bâtiments. La vaste campagne de travaux de restauration et d'amélioration commence effectivement en 1824. Le projet vise à rétablir les remparts endommagés, adapter la citadelle aux progrès des armements et moderniser les installations. Le Génie Militaire analyse les possibles attaques depuis différents points, ajustant les hauteurs des remparts pour contrer les tirs d'artillerie car la portée des canons a considérablement augmenté depuis le XVIIe siècle, passant de 300 m à 1000 m. Une nouvelle poudrière à l'intérieur du fort est aussi construite à la demande de la municipalité qui réclamait le déplacement du grand magasin à poudre trop proche du port. La restauration, s'étendant sur plusieurs années, modifie significativement la silhouette initiale de la citadelle tout en conservant la lisibilité des parties XVIIe siècle et des modifications ultérieures. 

En 1862, la citadelle connaît une transformation majeure avec l'aménagement d'un boulevard qui la divise en deux, facilitant la liaison entre le port et le quartier en développement des Catalans. Cette initiative s'inscrit dans un contexte d'urbanisation, marqué notamment par le début de la construction du palais du Pharo en 1858. Pour permettre l'ouverture du boulevard à la circulation, des bâtiments de la citadelle, situés sur le tracé de la future voie, sont démolis, et la réalisation se fait en tranchée à travers l'éperon rocheux. Une nouvelle porte avec son corps de garde est construite en haut d'une rampe pour accéder à la partie supérieure et une porte en retrait est érigée pour desservir la partie inférieure. En 1887, les autorités militaires rebaptisent le fort Saint-Nicolas supérieur, qui prend le nom de fort d'Entrecasteaux, en l'honneur d'un navigateur français. Parallèlement, le bas fort Saint-Nicolas est désormais appelé fort Ganteaume, en hommage à un ancien vice-amiral et préfet maritime de Toulon.

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Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et la première du XXe siècle, le fort est utilisé en grande partie comme prison militaire. Entre 1852 et 1927, de plus en plus d'espaces sont dédiés à cette fonction, et un tribunal militaire est établi dans le fort Ganteaume. Des améliorations sont apportées pour rendre les conditions de vie des détenus plus acceptables, notamment avec la construction de baies, de latrines, de fontaines et de lavoirs. Des efforts continus sont déployés pour accueillir plus de prisonniers, avec l'aménagement de cellules supplémentaires. 

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le fort joue un rôle crucial et devient un lieu d'internement pour des prisonniers politiques entre 1939 et 1942, puis sous l'occupation allemande de novembre 1942 à fin août 1944. 

Jean Giono y est enfermé en 1939 en tant qu’objecteur de conscience, le futur président de la République tunisienne Habib Bourguiba est interné de mai 1939 à novembre 1942 avec les membres du Neo-Destour, parti indépendantiste tunisien. Environ 400 résistants et opposants au régime de Vichy y sont emprisonnés, dont l’ancien ministre du front populaire Jean Zay qui y est interné du 4 décembre 1940 au 7 janvier 1941 avant d’être transféré à la Maison d’Arrêt de Riom. 

L'occupation allemande à partir de novembre 1942 transforme le fort en un maillon du mur de la Méditerranée (Sudwall). Des unités de DCA (Défense Contre Avions) sont installées sur les bastions, des plates-formes en béton armé sont érigées pour supporter des mitrailleuses, une salle d'observation est construite et d'importantes galeries sont creusées, elles rejoignent le quai du bassin de carénage. 

Lors de la Libération à Marseille, entre le 23 et le 28 août 1944, le Fort joue un rôle actif. Le 23 août, ses canons tirent sur la Canebière et le Vieux-Port, bloquant l'avancée des tirailleurs algériens. Le 27 août, quelques heures avant la reddition générale de la garnison allemande, le fort a été pris par les goumiers marocains, entraînant la capture de 300 prisonniers. Dès septembre 1944, le fort reprend sa fonction de prison militaire, marquant la fin de son implication directe dans les événements de la Seconde Guerre mondiale.

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Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le fort a connu une série de transformations et d'usages divers. Initialement, plusieurs projets visant à convertir l'entrée du fort en un monument aux morts militaire ont été proposés, aboutissant à des aménagements en 1954 pour transformer la tour de l'ancien moulin à vent et créer un monument de la Résistance. Ces travaux entraînent la démolition de l'ancienne chapelle, la création d'un grand escalier et la monumentaIisation du parcours. 

A partir de 1960, le fort abrite la 3ème compagnie du 45e régiment de transmissions, et les souterrains deviennent un centre d'écoute dans les années 1970. Entre 1962 et 1974, le Service des Achats groupés de la Légion Étrangère et le Service des Archives du Génie Militaire ont également occupé le fort, utilisant la poudrière civile comme archives militaires. Des transformations sont apportées pour adapter le fort aux nouveaux usages et conditions de vie. 

La construction du tunnel sous le Vieux-Port entre 1964 et 1967 entraîne des changements significatifs du côté Est du fort, avec la création d'une nouvelle rampe d'accès et des ajustements au mur de soutènement. 

Le 14 janvier 1969, la totalité de la citadelle, comprenant le haut fort et le bas fort est classée au titre des Monuments Historiques. A partir de 1978, les vétérinaires militaires occupent le fort qui devient un département de l'Institut de Médecine Tropicale du Service de Santé des Armées (IMTSSA). Des laboratoires sont installés pour les chercheurs qui resteront au fort jusqu'à sa cession à la ville en 2010. 

Entre 1988 et 1994, le fort Ganteaume est aménagé pour accueillir le Mess Mixte de Garnison, impliquant une restauration soutenue par le ministère de la Culture. A partir de 1996, l'entretien des deux forts se fait sous forme de chantier de jeunes, des travaux de restauration du fort d'Entrecasteaux sont entrepris, comprenant la mise en valeur par l'éclairage des remparts en partenariat avec la ville dans l'optique des "2 600 ans" de Marseille. Depuis 2002, le chantier d’insertion de l'association Acta Vista, spécialisé en restauration de bâtiments patrimoniaux, occupe le site et mène la restauration du Fort d’Entrecasteaux. 

En décembre 2010, la ville devient propriétaire de l'ensemble du fort d'Entrecasteaux. Les militaires quittent le site définitivement en 2012, laissant les laboratoires des salles du haut fort en état, ainsi que le matériel du centre de transmission dans les souterrains accessibles depuis le bassin du carénage. Toutefois, cet équipement est obsolète et dégradé. La ville a reconduit Acta Vista pour les travaux en cours. En parallèle, elle entreprend en 2019 la restauration des remparts qui surplombent le mur de soutènement du boulevard Charles Livon. Le moulin perd sa fonction de monument aux morts. 

En 2017, un appel à projet pour la reconversion et la valorisation de l’édifice, basé sur un préprogramme, est lancé par la ville. La proposition du Groupe SOS est retenue, donnant naissance à l'association « la Citadelle de Marseille », chargée de mener à bien ce projet. Acta Vista est maintenue sur le site. Le 8 décembre 2021, un bail emphytéotique de 40 ans est signé entre la municipalité de Marseille et le groupe SOS Culture au profit de l’association « la Citadelle de Marseille », avec pour objectif la restauration du fort et son ouverture progressive au public. 

La Citadelle de Marseille demeure un témoin unique de l'histoire de Marseille, un lieu où se mêlent les traces du passé et les projets tournés vers l'avenir, prêt à offrir une nouvelle vie culturelle et patrimoniale à cette forteresse chargée d'histoire.